Les préoccupations villaegoises

L'accès à l'eau potable pour tous.

L'accroissement de la population depuis la réalisation du premier réseau a provoqué une importante extension du village. Une partie non négligeable de la population se trouve désormais mal desservie par celui-ci, c'est à dire contrainte de parcourir des distances supérieures à 500 m pour rejoindre la borne fontaine la plus proche quand la distance maximal communément admise lors de la conception de tels réseaux au Tchad est de 250 m.
Les premières à souffrir de cette carence sont les femmes, traditionnellement chargées de l'approvisionnement en eau des familles.
Cet état de fait pose à nouveau des problèmes sanitaires qui tendaient à disparaître depuis la mise en place du réseau, car certaines familles préfèrent reprendre l'utilisation d'anciens puits dont la salubrité n'est pas garantie.
La situation actuelle semble également créer des tensions au sein de la population, de nombreuses familles refusant de payer la redevance pour l'eau potable, au prétexte légitime qu'elles résident trop loin des bornes.
Globalement les objectifs du projet sont donc la réduction de l'inégalité d'accès à l'eau potable au sein de la population de Kolobo, ainsi que l'amélioration des conditions sanitaires d'une partie importante de la communauté.

L'autosuffisance alimentaire : notament en période de soudure.

Le moteur de la pompe d'irrigation en service depuis dix ans est tombé en panne il y a maintenant deux ans. Il semble ressortir des discutions avec nos partenaires du village que son remplacement et la mise en place de structures aptes à la gérer ont pour la population une priorité supérieure à l'extension du réseau d'eau potable.
En effet le périmètre irrigué, d'une superficie de 30 ha, permettait une récolte de riz en contre-saison et ne semble donc pas constituer une part négligeable de l'approvisionnement en céréales du village. Cette culture permettait aux habitants de faire face à une éventuelle disette pendant la période de soudure. Cette période de l'année correspond à la fin de la saison sèche et le début de la saison des pluies quand les réserves alimentaires sont épuisées mais la nouvelle récolte n'a pas encore commencé. Si les conséquences de cette panne sont diversement vécues au sein de la population, elle prive en tous cas une bonne partie des habitants d'une ressource alimentaire importante et la coopérative agricole de la plus grosse partie de ses revenus.

Le statut des deux volontaires

Les deux volontaires représentent le groupe isf sur place. Leur mission principale est l'aide à la décision en apportant des solutions techniques. Il ne s'agit surtout pas de décider des solutions à adopter mais de présenter les différents choix techniques qui se présentent à eux accompagnés d'une évaluation financière pour chaque solution. Le comité villageois choisit la solution la mieux adaptée techniquement et financièrement pour le village. Financièrement le groupe isf peut aider le comité à payer un projet bien adapté mais dont l'investissement initial est trop lourd.

Les objectifs généraux de la mission

La mission 2000 porte sur deux projets bien distincts dans le village de Kolobo. Le premier qui semble être prioritaire est le remplacement du moteur de la motopompe qui irrigue une trentaine d'hectares. Le second est l'extension du réseau d'adduction d'eau du village. Pour chaque projet, l'interlocuteur et partenaire privilégié sont différents. Il s'agit respectivement de Kolocooper (coopérative agricole de Kolobo) et du CPE (comité point d'eau).
Cependant pour chaque projet la démarche reste la même :
- analyse des systèmes existants,
- recueil des données techniques,
- proposer au comité des solutions techniques et une évaluation de leurs coûts pour l'aider à choisir ce qui est le mieux adapté pour eux.

L'extension du réseau d'adduction d'eau potable

Typiquement, les projets qu'ISF mènent comportent quatre missions sur le terrain. La première, la mission d'identification, sert à mieux comprendre les problèmes des villageois, leurs besoins ainsi qu'à définir un cahier des charges décrivant le projet. De cette mission incombe la décision de poursuivre ou non le projet. Les questions que l'on doit se poser sont :
- le projet est-il adapté aux besoins villageois ?
- Le projet est-il viable à long terme ?
- Les villageois ont-ils prêts à accueillir ce progrès ?
La seconde mission est une mission de pré-réalisation. Elle a pour but l'étude de faisabilité. L'équipe de volontaires sur place est chargée d'étudier plusieurs solutions techniques. Elle prend alors le rôle de conseiller technique auprès des comités villageois concernés à qui il appartient la décision finale.
Ensuite vient la mission de réalisation, c'est au cours de cette mission que les travaux sont réalisés. Les volontaires sont chargés de superviser les travaux (s'ils sont faits par les villageois). Ils peuvent aussi représenter les villageois auprès de l'entreprise réalisant le chantier.
Enfin, les projets se terminent par une mission d'évaluation un an après la fin des travaux. Elle permet de contrôler le bon fonctionnement du projet, son bon entretien si c'est un ouvrage.

Recueil des données techniques.

Bien que la mission de cette année fut la troisième à Kolobo, nous en étions au stade d'une mission de pré-réalisation. Ainsi, il nous fallait recueillir toutes les informations nécessaires à l'étude technique sérieuse de l'extension du réseau d'AEP à Kolobo. Le château d'eau fait 4,4 mètres sous cuve et la cuve a une capacité de 30 m3. Les tuyaux d'acheminement de l'eau sont principalement en PVC. Les canalisations principales font 90 mm de diamètre intérieur alors que les ramifications font 63 mm.
Il nous fallait également définir le tracé exact du réseau ainsi que l'emplacement des bornes fontaine. Ce choix devait être pris en concertation avec les utilisateurs du réseau, c'est-à-dire, principalement les femmes. La contrainte essentielle pour l'emplacement des points d'eau est que les concessions ne doivent pas être distantes de plus de 250 m du point d'eau le plus proche.
Le village s'étendant sur plus d'un kilomètre, il était aussi indispensable d'établir un relevé topographique du village pour s'assurer que le village était plat. En effet, un ou deux mètres de dénivellation, invisible à l'œil nu sur un kilomètre de distance, peuvent être déterminant dans la faisabilité du réseau. Le relevé topographique a été fait par le topographe de l'entreprise italienne IFF qui construit la route qui reliera la capitale à Laï. Nous avons effectué les points de pointage sur les emplacements des bornes fontaines et sur les futurs emplacement. Les résultats montrent que le village est plat (complètement devrais-je dire). Entre le pied du château d'eau et le point le moins favorable pour l'écoulement de l'eau, il n'y a que 20 cm de dénivellation.

Motivation de la population.

Il nous fallait de plus tester la motivation des villageois vis-à-vis de ce projet. En effet, avant de commencer les études techniques, il faudra vérifier un point indispensable à l'extension : la motivation des villageois. On pourra la tester via deux questionnaires, un pour les utilisatrices du réseau, l'autre pour les chefs de famille ou de concession. La motivation des villageois est la condition la plus importante dans la décision. Elle peut s'estimer à l'argent que les villageois sont prêts à investir pour l'extension et au prix qu'ils sont prêts à payer l'eau.
L'étude auprès de la population a été très difficile. En effet, nous étions principalement en relation avec les membres des comités villageois. Les personnes les plus concernées par le réseau sont bien sûr les femmes qui sont les utilisatrices. Cependant, il était difficile de les interroger car elles ne parlaient pas français.
La seule raison qui aurait pu freiner le projet était le manque d'intérêt pour le projet qui aurait pu se manifester par un refus de payer l'eau. Cependant, dont le prix est très bas pour l'instant (10 FCFA par jour et par famille restreinte qui comprend parents et enfants) est suffisant pour faire face aux dépenses du Comité Point d'eau. Ces dernières ne vont qu'augmenter très peu avec l'extension du réseau. L'argent n'était donc pas un facteur limitant pour ce projet.

Tracé du réseau.

Le village étant linéaire (1,5 km de long sur 400 m de large) et suivant l'ancienne route, le CPE et nous avons décidé de placer trois bornes-fontaine supplémentaires dans l'alignement du réseau existant, suivant l'ancienne route traversant le village.
La nouvelle route (qui sera goudronnée en avril 2001) passe 300 m à ouest du village. Il est clair que le village, s'il agrandit encore, s'étendra vers la nouvelle route. Nous avons donc envisagé de placer deux bornes-fontaines à l'orée du village à l'ouest. Cependant, pour des problèmes de budget, nous avons préféré nous en tenir au seul prolongement du réseau actuel.

Budget.

Après avoir défini le tracé et le cahier des charges du réseau, nous avons passé des appels d'offre auprès de trois entreprises locales : Setuba S.A., Geyser et GTP. Les devis étaient compris entre 300 et 400 KF.
La coopération française, à travers son programme FSD (fonds sociaux de développement) devrait payer 35% des travaux, ISF la même part et le village, 30% du coût total de l'ouvrage. La participation villageoise peut se faire en valorisation de son travail. Nous sommes actuellement en discussion avec les entreprises pour obtenir des prix, étant donné la participation active de la population aux travaux.

Le périmètre irrigué

La mission précédente avait conclu que le périmètre irrigué était le problème le plus urgent à résoudre pour les habitants de Kolobo. Comment comprendre alors que les villageois ne se soient pas mobilisés pour le rachat d'un groupe motopompe qui leur aurait permis de continuer les cultures en contre-saison ?
C'est une des questions auxquelles il nous fallait répondre. Le périmètre avait été installait en 1978 par CARE, une ONG américaine. Ce projet faisait parti d'une plus vaste expérimentation de culture irriguée en zone Kim qui représente cinq ou six villages dont Kolobo fait parti.

L'historique de la motopompe.

Le moteur installé était un Lister&Peter diesel de 24CV. La pompe était de marque Caprari. La motopompe atteignait 300 m3 par heure. Le périmètre faisait à peu près 25 ha qui se composait en petits carrés cultivables de 0,25 ha chacun. La culture de ces carrés (exclusivement du riz) était confiée à une famille. En contre-partie, elle devait fournir une redevance à la coopérative agricole de Kolobo (kolocooper). Les techniques utilisées pour la culture dans un périmètre irrigué sont bien différentes de celle utilisées pour le riz pluvial (riz cultivé en sol nu et dont le niveau d'eau n'est pas contrôlé). En effet, l'utilisation du repiquage, d'engrais, de pesticides et surtout le contrôle du niveau de l'eau dans la parcelle de riz permettent un rendement bien supérieur au riz pluvial. Avec une culture soignée, les meilleurs carrés fournissaient 2 tonnes de paddy, soit 8 tonnes de paddy à l'hectare. Ce rendement permettait largement de payer la coopérative (5 sacs de 100 kg de paddy par carré) et de nourrir une famille pendant un an. Les premières années, la campagne du périmètre irriguée se faisait en saison des pluies, la motopompe servait d'appoint et d'ajustement du niveau d'eau dans les carrées.
Le groupe motopompe (35 millions FCFA avant dévaluation), ainsi que les intrants (20 millions FCF) de la première campagne furent entièrement payés par CARE. La culture en périmètre irriguée permettant un rendement bien supérieur au riz pluvial. Ainsi, l'argent récupéré par la vente des sacs des redevances devait permettre à kolocooper de se constituer des provisions pour le remplacement de la motopompe. De plus, CARE avait le droit de regard sur la gestion du périmètre et la comptabilité fut suivie jusqu'en 1993. Cela n'a pas empêché kolocooper de faire faillite après deux campagnes ravagées par l'inondation du périmètre rizicole par le fleuve Logone.
La culture a repris en 1995 mais cette fois en contre-saison. Plusieurs raisons ont motivé ce changement de stratégie. D'abord, le riz est beaucoup plus cher en saison sèche, ce qui permet de faire plus de profits. Ensuite le Logone ne risquait pas de déborder en saison sèche. Enfin, la culture e contre-saison permet de mieux faire face à la période de soudure. Les campagnes de 1995 à 1998 furent financer par des micro-crédits contractés auprès de GTZ, un organisme allemand de développement pratiquant des intérêts très bas de 2%. Pourtant, kolocooper, après quatre campagnes de contre-saison n'a pas réussi à dégager assez d'argent pour constituer un fond de roulement lui permettant d'autofinancer les campagnes. De plus, après deux agrandissements consécutifs du périmètre (il était passé à 30 ha) et une utilisation beaucoup plus intensive de la motopompe, celle-ci est tombée en panne après avoir montré des signes de fatigue.

Le constat d'un échec.

Le problème nous apparut beaucoup plus compliqué qu'en France. Nous n'avions pas évalué correctement le coût d'un tel projet ni la complexité de le pérenniser. La réhabilitation d'un si grand périmètre qui comprend la réfection des canaux, le rachat d'un moteur neuf et le financement de la première campagne coûte plus de 80 KF. De plus, ISFn'était pas prêt à payer la réhabilitation de ce périmètre, considérant que le projet est lucratif.
Comment rentabiliser alors un tel projet ? En établissant un compte de résultat théorique, le périmètre dégage juste assez de bénéfices pour s'autofinancer et rembourser un emprunt. Cependant, c'est sans compter sur une récolte moins bonne ou sur une chute du prix du sac de riz. Un tel projet nécessite donc un suivi de la comptabilité très étroite, une rigueur qu'ISF ne peut pas apporter. La raison la plus évidente est qu'ISF n'a pas d'antenne permanente au Tchad et qu'il serait impossible de suivre sérieusement le projet pendant 10 ans. Nous avons donc recherché un organisme de crédits ou une ONG locale qui pourrait assurer à la fois le crédit et le suivi. Malheureusement, nous sommes toujours tombés sur les mêmes réponses : le projet n'est pas assez viable et trop complexes à gérer.
L'expérience montre que ce genre de projet agricole est très peu viable. On peut d'abord citer les 5 périmètres rizicole installé en zone Kim dont aucun n'a fonctionné après la première panne sérieuse de la motopompe qui nécessitait son remplacement. Toutes les ONG que nous avons visitées à ce sujet et qui ont participé à ce type de projet nous ont fait part du même constat d'échec. Beaucoup nous conseillent d'ailleurs de plus petites structures de deux ou trois hectares, moins coûteuse et d'un entretien plus facile.

Le pourquoi de cet échec.

Nous pouvons nous interroger plus spécialement sur les raisons de cet échec. Malgré une situation géoclimatique idéale pour la culture rizicole et une main d'œuvre très bon marché.
Sans prétendre résoudre complètement le problème , nous pouvons tout de même apporter des éléments de réponse. D'abord, le Tchad est profondément ancré dans une culture d'autosubsistance qui ne favorise pas le développement du commerce. Par exemple, la plupart des villages du Tchad, ne commerce pas du tout. Ainsi, une fois le grenier rempli, la plupart des paysans ne vendent pas le surplus, mais le laisse pourrir dans le champ. Ensuite le Tchad n'est pas dans une dynamique de progrès. La guerre civile qui a eu lieu pendant 20 ans, et toujours latente à l'heure actuelle, n'arrange pas les choses. Le retard accumulé en termes d'infrastructures, d'idées politiques et économiques explique aussi cet état d'esprit. Ainsi le manque évident des moyens de communication (une seule route goudronnée de 400 km et 3 ou 4 ponts capables de supporter des camions) pèse lourd sur l'économie du pays.
Enfin, les projets collectifs sont toujours moins efficaces que les initiatives individuelles. En effet, les paysans, dans le premier cas ont moins conscience de la valeur monétaire que représente le projet car ils ont du mal à s'approprier ce dernier. Dans le second cas, c'est de leur argent qu'il s'agit et comprenne mieux l'intérêt qu'a le projet à bien fonctionner.
Si dans d'autres pays comme le Sénégal, ce genre de projets peut fonctionner, il ne faut oublier que ce pays bénéficie d'une stabilité politique plus ancienne et surtout d'une présence massive des ONG depuis plus de vingt ans, ce qui a largement contribué au développement et à l'évolution occidentale des mentalités.